Kototama
Le chant de l’Unité
Le Kototama est une pratique du Son qui a été conservée au Japon depuis des millénaires.
En japonais, kototama signifie « mot-âme » ou « esprit du mot » : cet art de la pratique du Son, caché volontairement pendant des millénaires, sous-tendant les mythes du Shinto et conservé sous le sceau du secret dans la famille impériale du Japon, a été dévoilé par l’Empereur Meiji à la fin du XIXeme siècle, et a commencé à être transmis en occident au milieu du XXeme siècle, par Nakazono Sensei.
Morihei Ueshiba, le fondateur de l’Aïkido, en fut un ardent pratiquant, et en disait :
« Il n’y a pas d’Aikido sans Kototama : l’Aikido est une méthode de fusion avec Kototama, l’esprit de l’univers… l’aikido est né à travers l’écho du son…«
Les « mots-âmes » sont les sons purs qui cristallisent les vibrations originelles que nous percevons ensuite comme couleur, son et forme, dans le monde manifesté.
Avant que toute manifestation soit perceptible dans le plan matériel, son essence vibre, résonne sur les plans subtils : ainsi, chaque principe manifesté par la couleur, le son ou la forme, a un kototama, un « mot-âme », une vibration principielle sacrée qui contient son essence, et en permet la manifestation.
Ces « mots-âmes » n’ont de signification dans aucune langue : ils sont le substrat vibratoire essentiel de toutes les langues et de toute chose. Ainsi, l’intégration du principe de Kototama permet de décoder le sens originel des mots, quelle que soit la langue à laquelle ils appartiennent : Kototama est la source du langage originel…
Kototama, le chant des « mots-âmes », nous invite à l’écoute de l’Etre, à la présence simple à l’Ici-Maintenant, par la résonance intérieure des sons originels.
Ana, Mana, Kana
Les trois principes de la manifestation
Le Kototama s’appuie sur trois principes : ANA, MANA et KANA.
ANA est le rythme universel, la source du rythme de vie des phénomènes de l’univers non manifesté. L’univers est entièrement rempli de ce rythme source. ANA est la vibration initiale, qui est encore silence. Concrètement : ANA est la source non manifestée de toute chose.
MANA est la mise en vibration d’ANA dans le monde manifesté. Il est le rythme devenu son, en tant que constituant de la pensée. Il est le principe d’apparition d’ANA dans le monde perceptible.
Concrètement : MANA est la dimension mentale (cerveau) qui sert d’interface entre les dimensions d’ANA et de KANA.
KANA est la mise en vibration de MANA dans l’incarnation. Kana est la parole Divine, le Verbe, qui incarne Mana.
Concrètement : KANA est la dimension incarnée, la parole, la matière.
Selon ces trois principes, notre cerveau est sensé jouer un rôle de récepteur, captant en MANA le rythme d’ANA, et le transmettant aux zones du langage afin que les sons que nous émettons soient de nature KANA afin que « ce qui est en bas soit comme ce qui est en haut« .
Avant que le principe de Kototama ne soit caché, le rythme de notre cerveau (MANA) se synchronisait en permanence avec l’activité des rythmes universels (ANA). Notre langage (KANA) était alors le reflet exact, dans « l’ici-maintenant », du Vivant…
Depuis l’occultation du principe de Kototama (illustré dans la Bible par l’épisode de la tour de Babel, celle-ci représentant la tentative de l’homme, aux premiers temps de l’incarnation, de reconstruire le canal du son reliant terre et ciel) et jusqu’à aujourd’hui, les principes de MANA et KANA ont été séparés : le cerveau n’exerce plus sa fonction de récepteur, et les sons que nous prononçons sont issus d’un langage arbitraire conventionnel. Ainsi, nous avons une voix, mais nous avons perdu le « Verbe ».
Les mots que nous prononçons de nos jours sont des enveloppes de concepts-symboles vides de l’essence-ciel : ils ne sont plus des « miroirs de l’âme » pouvant refléter instant après instant notre « visage originel »… Le lien ANA / MANA étant interrompu, la pratique de Kototama propose de rétablir cette connexion en passant par KANA (incarnation d’ANA) : en prononçant les mots-âmes nous envoyons au cerveau via l’oreille (boucle audio-phonatoire) les informations contenues dans les kototama que nous émettons.
MANA/le cerveau va donc recevoir à nouveau l’énergie originelle d’ANA, et retrouver peu à peu, par résonance avec la vibration de celle-ci, sa fonction première de récepteur : il pourra alors à nouveau « résonner » avec le Vivant, au lieu de « raisonner » en vain…
Le rythme de notre cerveau synchronise en permanence avec l’activité des rythmes universels. Une image, un son, une idée, un désir, chaque instant de vie modifie la vibration de notre cerveau. C’est cette vibration qui devrait être exprimée dans les rythmes sonores de notre parole. C’est là le véritable langage, le nom réel des phénomènes.
Quand ce rythme est prononcé, le son revient au cerveau à travers le sens de l’ouïe et le cerveau synchronise encore avec lui. Une comparaison est faite entre le rythme du cerveau à sa première synchronisation avec le phénomène et le rythme prononcé : le nom donné au phénomène. Si le rythme du cerveau est exactement le même avant et après le son, cela veut dire que la reconnaissance a été parfaite. Cela veut dire que vous avez exprimé la vérité, ici et maintenant. C’est la plénitude de la conscience humaine.
Nakazono Sensei
Les mots-âmes
Molécules sonores manifestant la conscience en tant que matière
Chaque kototama est composé de « sons-mères » (voyelles) et de « rythmes pères » (consonnes).
Les « sons-mères » sont les cinq puissances, c’est-à-dire les cinq énergies dont le potentiel est utilisable par l’homme.
Les « rythmes-pères » sont les huit pouvoirs, c’est-à-dire les huit façons d’utiliser les cinq énergies mises à disposition par les sons-mères.
Dans un premier temps, le chant quotidien des mots-âmes contribue, par une restructuration progressive des plans physique, énergétique, émotionnel et mental, au dépassement des blocages intérieurs et à une unification et un apaisement de l’ego (un ego trop en souffrance attire sans cesse notre attention, la détournant de notre nature véritable).
Dans un deuxième temps, la pratique des « mots-âmes » permet de s’arracher de la « zone d’attraction égotique » par leur effet direct sur les ondes cérébrales : ceci facilite la transformation de la dimension perceptive dans laquelle peuvent alors s’ouvrir (pour un moment) des espaces de silence intérieur au sein desquels la dimension silencieuse, neutre, transparente de « Cela qui perçoit » peut commencer à être rencontrée…
Par son action directe sur le cerveau, cette pratique contribue à nous aider à sortir des « autoroutes neuronales » qui pérennisent l’image-moi identifiée.
Dans un troisième temps, la pratique des kototama offre un soutien énergétique précieux sur le sentier de la Libération, favorisant la stabilisation d’une conscience établie dans la perception directe de notre nature originelle…
Jour après jour, le chant des kototama construit un « nid » sonore au coeur duquel Aoi Tori, l’Oiseau Messager du Silence Originel, peut redéployer les ailes de la Conscience toujours Eveillée à Elle-Même… Dans cet espace de conscience, Kototama retrouve alors sa fonction première : être non pas une pratique, mais le Chant de l’Unité se goûtant et se célébrant en tout ce qui est…
La prononciation (murmurée, parlée, chantée) des kototama est une invitation à entrer dans le son, à le ressentir en nous jusqu’à « devenir » le son prononcé, afin de retrouver au centre de nous notre note fondamentale, expression de notre identité profonde. En nous permettant de reconnecter l’essence de toute chose, c’est notre propre nature essentielle et originelle que le Kototama nous permet de retrouver.
Le Kototama est une voie à part entière, pont sonore entre esprit et matière, dont la pratique permet de retrouver au centre de nous l’espace de paix et de sérénité à partir duquel notre nature profonde peut pleinement s’exprimer, dans l’harmonie et la joie du Vivant qui est en nous.
Son enseignement millénaire propose de travailler sur les trois plans, corps, âme et esprit :
sur le corps, par la pratique de certains mouvements, ainsi que par la transmission des In (sceaux, mudra en sanskrit) associés aux mots-âmes ;
sur l’âme, par la transmission et la pratique des mots-âmes ;
sur l’esprit, par l’enseignement spirituel donné pendant les stages, et plus que tout, par les espaces de présence partagés au coeur du silence…
Kototama est l’un des « moyens habiles » donnés à l’homme pour goûter pleinement à sa nature véritable, et pour l’incarner chaque jour davantage un peu plus, dans la présence à soi, la bienveillance, la joie et la sérénité…
La pratique des mots-âmes
Un temps de rencontre privilégié avec son espace intérieur
Par la prononciation des mots-âmes, nous accédons peu à peu à l‘espace d’attention silencieuse dans lequel nous percevons notre nature originelle…
La pratique des mots-âmes peut se faire en voix soufflée, murmurée, parlée, projetée ou chantée.
Aucun apprentissage vocal préalable n’est requis, ni nécessaire pour la pratique de Kototama.
L’accent est porté sur la conscience intérieure, sur le ressenti profond vécu par la personne au moment où elle chante un mot-âme, plus que sur le son émis lui-même. En effet, le son émis est l’expression extérieure de l’état de conscience intérieur vécu par la personne : les kototama sont produits en nous, et se manifestent ensuite par le son.
A ce titre, la pratique de Kototama n’a pas pour objet ni pour objectif de produire des sons « justes » ou « harmonieux », mais de s’ajuster avec son ressenti intérieur, et d’être à l’écoute de ce qu’il exprime, à un instant précis…
Shu In et Awitori No Michi
Incarnation du son par le mouvement
Depuis des millénaires, des pratiques corporelles visant à incarner le son jusque dans la matière ont été transmises dans les lignées du Son. Ces pratiques se divisent principalement en deux branches :
Shu-In : la pratique juste des Sceaux de pouvoir (In en japonais, mudras en sanskrit) reflétant dans le corps, l’essence sonore des kototama
Awitori no michi : intégration des kototama par le mouvement. Les pratiques d’Awitori no michi comprennent plusieurs enchaînements de mouvements qui permettent de développer notre attention corporelle, instant après instant.
Misogi
Polir le miroir intérieur
Le misogi est une pratique ancestrale de purification par les sons. Cliquez ICI pour accéder à la page consacrée au misogi.
Waka
Les chants de la joie
Waka est le terme générique pour désigner un poème court répondant à certaines règles concernant le nombre de versets et le nombre de syllabes par verset.L’Onsei-Dō utilise principalement les Tanka (« chanson brève ») consistant en 5 vers de 5, 7, 5, 7, 7 syllabes.
La structure très particulière des Tanka (31 syllabes, réparties selon le séquençage : 5 – 7 – 5 – 7 – 7) est utilisée dans la pratique de Kototama, puisqu’ils constituent de véritables accumulateurs énergétiques : 31, le nombre de syllabes du Tanka, est le nombre relié dans le Shinto au rythme des saisons, à ce qui se passe sur terre. Esotériquement, ce nombre représente l’énergie contenue dans la matière, qui peut être utilisée par l’homme. L’enseignement du Kototama explique de quelle façon cette énergie peut être libérée par la prononciation d’un 32eme son pur, le son caché, qui agit en tant « qu’instruction libératoire », transformant dans l’instant le mode des fréquences cérébrales (passage d’ondes béta en ondes alpha), et libérant un puissant flot d’énergie utilisable par le pratiquant.
Le simple chant des Tanka place directement le pratiquant dans un état de centrage intérieur, propice à la méditation, raison pour laquelle Usui Sensei recommandait cette pratique : « Le Dr Usui les utilisait dans ses rencontres Reiki pour aider ses étudiants à se concentrer sur l’essentiel (…)Les poèmes ont été écrits par l’Empereur Meiji en vieux japonais » précisent Franck Arjava Petter et Chetna Cobayashi (in « La Quintessence du Reiki » déjà cité).Cependant, il convient de garder à l’esprit que le principe agissant des Waka réside entièrement dans les sons qui les composent, sachant que chaque syllabe a été soigneusement choisie par Meiji Tenno, non pour son sens, mais pour le son pur dont elle est porteuse. Ainsi, chaque Waka est une habile mosaïque sonore, dont le sens poétique littéral est la facette visible, et les sons qui le composent la clef cachée. On comprend ainsi que traduire les Waka en anglais ou en français entraîne la perte irrémédiable de l’énergie transmise par les sons qui les composaient originellement.
C’est la raison pour laquelle les enseignants en Onsei-Do, selon l’antique principe de Kototama transmettent uniquement la forme japonaise des Waka, et offrent cette pratique, guidée par le « kiai » du 32eme son libérateur…
Okugi No Tamaori
La transmission sacrée des mots-âmes
Kototama est une pratique qui se transmet « I shin den shin » (littéralement, en japonais, « de mon âme à ton âme ») par la reliance énergétique directe et la transmission vibratoire du son entre l’enseignant et l’élève.
On nomme cela Okugi no Tsunagari : c’est à dire la transmission du « lien secret » permettant la pratique en toute sécurité des mots-âmes dans la Lumière de Kototama.
Depuis plus de 3000 ans, les mots-âmes ont été ainsi transmis, dans une chaîne sonore ininterrompue, reliant chaque nouveau pratiquant à la source originelle du Son Source.
Il m’a souvent été demandé, par des personnes intéressées par Kototama, si elles pouvaient apprendre sa pratique dans des livres, ou à travers des cours écrits que je leur adresserai : ma réponse a été « non » aux deux questions, pour les raisons évoquées ci-dessus.
Kototama est le Principe de Vie manifesté par le Son dans les mots-âmes : à ce titre, il est aisé de comprendre que sa transmission ne puisse se faire qu’en présence des « Vivants » de l’enseignant et de l’élève.
A l’instar de la tradition Celte (gardienne d’une partie du Principe de Kototama) dans laquelle l’enseignement des aspirants Bardes, Vates et Druides était uniquement oral, la transmission du Kototama l’est également, afin de préserver le Vivant auquel elle relie…
Okugi no Tamaori, le rituel de transmission des mots-âmes est réalisée par l’enseignant lors de chaque pratique du son au cours de laquelle il enseigne de nouveaux mots-âmes aux élèves : temps privilégié offrant aux participants la possibilité de se relier davantage au principe de Kototama, véritable initiation individuelle au cours de laquelle chaque élève a la possibilité de ressentir davantage l’âme du son résonnant en lui…
Kototama, résonance précédant toute chose
Extrait d’un article écrit par Bruno Traversi en 2008
« L’idée et l’expérience d’un verbe que l’humain porte, dont il est le vecteur, mais qui le dépasse est ce qui unit toutes ces disciplines spirituelles. Il y a en fait deux façons fondamentales de considérer la parole humaine. Soit nous la considérons comme formée par l’individu, produit de l’individu dans son rapport à autrui, autrement dit telle une parole dont la genèse s’explique par des facteurs psychologiques et culturels. Chaque parole prononcée peut alors être considérée comme le fait de telle ou telle personne. Soit elle peut être regardée, au contraire, comme quelque chose de sacré qui traverse l’individu, dont la nature caractérise et transcende l’humanité.
C’est ce qui fait dire à Morihei Ueshiba et à Goi Masahisa, son ami spirituel, que chaque parole dite, aussi ordinaire soit-elle, alors même que nous croyons la créer au moment où nous la prononçons, n’est en fait qu’une image d’une autre parole, plus haute et créatrice, divine :
Le kototama, c’est la résonance qui précède la pensée et qui amène le caractère et le son.[…] Lorsque sons et caractères sont manifestés, c’est que la fonction du kototama, son action s’est déjà réalisée.
Takemusu Aiki, volume 2, p.119
Alors, ce n’est plus l’individu qui forme la parole, mais tout au contraire, c’est la parole qui forme l’individu, en le faisant parler, en le faisant écrire, en le faisant agir.
Dans une telle expérience, la parole révèle en quelque sorte son autonomie, et c’est, paradoxalement, en comprenant que la parole qu’il porte n’est pas son produit, mais la manifestation d’une réalité plus universelle que l’individu peut s’élever, progresser et dépasser son point de vue particulier.
Ainsi pour Ueshiba Sensei, il faut, pour s’approprier la parole divine, accepter de se laisser agir par elle. Le kototama ne consiste donc pas seulement dans la prononciation des sons et des mots mais plus essentiellement dans le fait de recevoir une parole pour en devenir le vecteur. »
Plotin, philosophe néoplatonicien du IIIème siècle, dont l’ascèse consistait à atteindre l’Un par un retour sur soi, disait de la parole, à comparer avec l’extrait de Takemusu Aïki donné ci-avant :
La pensée de Dieu est un Premier Principe dont la nôtre dérive et diffère. Comme la parole extérieure n’est que l’image de la parole intérieure de l’âme, la parole de l’âme n’est elle-même que l’image de la parole d’un principe supérieur.